Alexandre Gonsse de Rougeville, né à Arras le 17 septembre 1761 et mort à Reims le 10 mars 1814, est l’une de ces figures fascinantes de l’histoire française, à la frontière entre la réalité et la légende. C’est ce personnage, tour à tour aventurier, royaliste, conspirateur et usurpateur, qui inspira Alexandre Dumas pour son roman Le Chevalier de Maison-Rouge. Rougeville, par ses actions et ses exploits, incarne les tumultes de la Révolution française, les aspirations contre-révolutionnaires, et les péripéties de la campagne de France de 1814. Allons plus loin sur ce personnage arrageois ci-dessous.
Une jeunesse mouvementée : des champs d’Arras aux complots révolutionnaires
Né au n°59 de la Grand’Place à Arras (voir photo de l’article), Alexandre Gonsse de Rougeville grandit dans un environnement privilégié. Son père, François Joseph Gonsse, est un négociant prospère et fermier des droits sur les bières, vins et eaux-de-vie d’Artois. La famille possède plusieurs domaines, dont les seigneuries de Rougeville, d’Hastries, de Saint-Laurent et de Wetz. Cependant, malgré l’addition du titre de « marquis de Rougeville » à son patronyme, Alexandre Gonsse est de naissance roturière. Cette origine modeste contrastant avec ses ambitions et son penchant pour l’affabulation le poussera à se forger une identité qui oscillera constamment entre noblesse et mystification.
Dès ses 15 ans, en 1776, il précède le célèbre La Fayette et s’engage pour participer à la guerre d’Indépendance américaine. Ce premier acte d’audace annonce déjà l’inclination de Rougeville pour les actions téméraires. De retour en France, il devient écuyer de Monsieur, le frère du roi Louis XVI, et se lie de près à la cour royale, notamment à Marie-Antoinette. Ce lien avec la famille royale marquera l’ensemble de son parcours durant la Révolution. Lors des premières années révolutionnaires, Rougeville prend activement part à des conspirations royalistes, dont l’une des plus célèbres, le « complot de l’œillet » en septembre 1793, vise à libérer la reine emprisonnée à la Conciergerie. Ce complot lui vaudra une réputation de personnage sulfureux et romantique, mélange d’héroïsme et de mystère.
Le lieu de sa naissance à Arras :
Un conspirateur traqué et une vie rocambolesque
Derrière l’image du chevalier prêt à braver tous les dangers pour la couronne, Alexandre Gonsse de Rougeville est un personnage à la personnalité complexe, souvent qualifié d’affabulateur et d’usurpateur. Homme à femmes, il se trouve à plusieurs reprises trahi par ses proches, notamment par sa maîtresse, qui le dénonce lors de l’affaire du « complot de l’œillet ». Il parvient néanmoins à échapper à la justice révolutionnaire, usant de stratagèmes et de pots-de-vin. Son évasion des Madelonnettes deux jours avant les massacres de septembre 1792 reste l’un des épisodes marquants de sa vie aventureuse.
Sa fuite le conduit jusqu’à Vienne, où il cherche l’aide de l’empereur François pour venir au secours de sa tante, la reine Marie-Antoinette. Accusé par les émigrés d’être un révolutionnaire, il est finalement arrêté par les autorités autrichiennes pour séduction et dettes. La suite de sa vie est marquée par une succession de séjours en prison, d’exils et de tentatives de retour sur la scène politique. En 1794, il rentre en France et est à nouveau arrêté l’année suivante. Ce n’est qu’avec la victoire des royalistes au Conseil des Cinq-Cents qu’il retrouve la liberté.
Rougeville retourne alors dans son Artois natal, où il épouse en 1806 Caroline Angélique Boquet de Liancourt. Pour un temps, il mène une vie tranquille. Mais son tempérament d’aventurier ne le laisse pas en paix. En 1804, lors de l’affaire Cadoudal-Pichegru, il est une fois de plus dénoncé par sa maîtresse. Bien que les gendarmes investissent son château, il parvient à s’échapper par des souterrains, montrant à nouveau sa capacité à se tirer des situations les plus périlleuses. Il est ensuite placé sous surveillance par la police de Fouché.
La chute du Chevalier : De la campagne de France à l’œuvre littéraire
En 1814, alors que la France est envahie par les troupes alliées, Rougeville, qui n’a jamais renoncé à ses idéaux royalistes, s’engage dans la campagne de France. Il devient guide pour les troupes cosaques à travers les forêts de Villers-Cotterêts et d’Épernay, contribuant ainsi à la chute de cette dernière ville. Mais le sort tourne contre lui : un courrier adressé au général russe tombe entre les mains d’un détachement français. Immédiatement traduit devant le conseil de guerre, Rougeville est fusillé dans l’heure contre le mur du cimetière du Champ-de-Mars à Reims. Ironie de l’histoire, son exécution survient alors que les troupes de Saint-Priest approchent, ramenant avec elles le roi Louis XVIII.
L’épopée de Rougeville ne s’arrête pourtant pas avec sa mort. En 1846, Alexandre Dumas publie Le Chevalier de Maison-Rouge, un roman historique inspiré de la vie tumultueuse de Rougeville et de son rôle dans le complot de l’œillet. Le personnage du chevalier est présenté comme un royaliste désespéré, prêt à tout pour sauver la monarchie, et confère à Rougeville une aura romantique. Cette œuvre, suivie d’une pièce de théâtre du même nom en 1847, immortalise la figure de Rougeville, le transformant en héros littéraire aux côtés des mousquetaires et du comte de Monte-Cristo. Plus tard, en 1963, Le Chevalier de Maison-Rouge sera même adapté en feuilleton télévisé par Claude Barma.
Rougeville demeure un personnage énigmatique, tiraillé entre l’héroïsme et l’imposture. Aventurier infatigable, il a marqué l’histoire de la Révolution française par ses actions et son engagement pour la cause royale. À Arras, sa ville natale, son nom et sa mémoire continuent de fasciner. Sa vie, jalonnée de complots, d’exils, de trahisons et de bravoure, illustre les tourments d’une époque où le destin des hommes basculait au gré des bouleversements politiques. Grâce à Alexandre Dumas, Rougeville est entré dans l’imaginaire collectif comme l’archétype du conspirateur romantique, prêt à sacrifier sa vie pour un idéal.
R.C.