L’histoire de la Révolution française à Arras est empreinte d’événements marquants et de figures locales qui ont joué un rôle essentiel dans le déroulement des bouleversements de cette époque. On se souvient évidemment de la convocation des États généraux par Louis XVI en mai 1789 ; un acte qui, pour toute la France, suscitait espoirs et incertitudes. Cependant, pour Arras, l’impact fut d’autant plus significatif en raison de sa position stratégique en tant que capitale des États d’Artois. Cette région, avec ses propres institutions et privilèges, se trouvait directement concernée par les réformes à venir. C’est dans ce contexte qu’un certain Maximilien de Robespierre, déjà une figure politique locale influente, commença à se distinguer. En janvier 1789, il publia un manifeste intitulé « À la nation artésienne, sur la nécessité de réformer les États d’Artois ». À travers cet écrit, Robespierre dénonçait les dysfonctionnements et les inégalités du système provincial, mettant en lumière le besoin d’une réforme en profondeur. Toutefois, c’est la nature élective de la convocation de Louis XVI qui marqua un tournant, scellant ainsi le sort des États d’Artois.
Le rôle de Robespierre, natif d’Arras, ne cessait de croître à l’approche de la Révolution. Lors des élections pour les États généraux, le Duc de Guînes, alors gouverneur de l’Artois, se retira de la scène, tout comme Monseigneur de Conzié, autre figure locale évoquée sur notre blog. À leur place, quatre curés et quatre nobles furent élus pour représenter l’Artois : Briois de Beaumetz, Le Sergent d’Isbergues, de Crois, et de Lameth. Du côté du Tiers état, ce furent des personnalités issues du milieu juridique qui furent désignées : Robespierre, Vaillant, et Brassart. La présence de ces avocats et juristes n’était pas fortuite ; leur engagement et leur expertise témoignaient du climat intellectuel et réformateur qui imprégnait la ville d’Arras à l’aube de la Révolution.
Une situation agricole désastreuse à l’instar du reste du pays
L’arrivée de la Révolution à Arras se déroula sur fond de crise agricole et sociale. En effet, les hivers de 1787-1788 et 1788-1789 furent parmi les plus rigoureux du siècle, entraînant la destruction des récoltes de blé à travers toute la France. En Artois, région fortement dépendante de ses terres agricoles, les conséquences furent dramatiques. Les réserves alimentaires s’épuisèrent, entraînant une flambée des prix des denrées de base. À Arras, le marché aux grains devint le centre des tensions, si bien qu’il fallut le protéger militairement pour éviter les pillages. L’exaspération populaire se manifesta également dans les campagnes environnantes : en mai 1789, l’abbaye d’Oisy-le-Verger fut prise d’assaut et pillée, témoignant de la détresse des habitants.
Malgré ces difficultés, Arras réussit à maintenir une certaine stabilité au cours des premiers mois révolutionnaires. L’abolition de la dîme et des privilèges, proclamée dans la nuit du 4 août 1789, apporta un peu de réconfort à la population. Cette mesure, accueillie favorablement, permit de canaliser le mécontentement et d’apaiser les esprits. Contrairement aux agitations parisiennes, Arras choisit de se mettre en retrait des événements violents, profitant des avancées politiques et sociales tout en gardant un semblant de quiétude. La capitale de l’Artois semblait alors bénéficier d’un calme relatif dans cette tempête nationale, marquant sa différence par une gestion mesurée des troubles sociaux.
Sur le plan politique : la naissance de la municipalité d’Arras
Le 14 décembre 1789, l’Assemblée nationale vota une réforme fondamentale : chaque commune devait désormais élire sa propre municipalité. À Arras, cette décision marqua le début d’une nouvelle ère politique. Selon les règles établies, tout homme de plus de 25 ans payant l’impôt (pour au moins trois jours de travail) pouvait élire des candidats également imposables (pour au moins dix jours de travail). Le 25 janvier 1790, ce fut Dubois de Fosseux qui fut élu maire, devenant ainsi le premier magistrat à diriger la ville sous ce nouveau régime. Par la suite, douze officiers municipaux, le procureur, son substitut, et vingt-quatre notables arrageois furent également élus pour former la nouvelle administration.
Cette naissance d’une municipalité démocratiquement élue fut un événement majeur pour la ville. Elle permit à Arras de prendre en main son destin politique, tout en participant à la réorganisation administrative du pays. Peu de temps après, la Révolution française entraîna la création des départements, et le 20 janvier 1790, le Pas-de-Calais fut officiellement établi. Plusieurs villes se disputaient le rôle de chef-lieu, notamment Saint-Omer et Aire-sur-la-Lys, mais c’est bien l’ancienne capitale des États d’Artois qui fut choisie provisoirement comme préfecture. Cette décision fut confirmée le 28 juillet 1790, en grande partie grâce aux efforts du nouveau maire Dubois de Fosseux et des députés Briois de Beaumetz et Vaillant. Cependant, la ville perdit son Conseil d’Artois au profit d’un tribunal de district, et le siège du nouvel évêque constitutionnel fut attribué à Saint-Omer.
Dubois de Fosseux devint plus tard président du directoire du département, cédant sa place de maire à Fromentin de Sartel. Ces changements illustrent la profonde réorganisation politique que la Révolution imposa aux structures locales.
De la liberté à la Terreur
Le 2 novembre 1789, l’Assemblée nationale décréta la nationalisation des biens de l’Église, ce qui eut de profondes répercussions sur Arras, surnommée la ville aux cent clochers. Parmi ces changements, la ville perdit son ancienne cathédrale, démantelée à côté de l’actuelle préfecture. En conséquence, les onze paroisses d’Arras furent regroupées en quatre : Notre-Dame, Saint-Nicolas-sur-les-Fossés, Saint-Géry, et bien sûr Saint-Vaast.
En septembre 1791, une nouvelle vague de changements s’opéra lors des élections municipales, voyant l’apparition de la moyenne bourgeoisie sur la scène politique locale. À cette période, le jacobinisme se propagea à travers plusieurs groupes dans la ville. Robespierre revint une dernière fois à Arras entre le 12 octobre et le 23 novembre, renforçant son influence sur la région. La Société des Amis de la Constitution, également connue sous le nom de Club des Jacobins, tenta de susciter un sentiment patriotique et révolutionnaire. C’est ainsi qu’on célébra à Arras, comme dans le reste du pays, l’Arbre de la Liberté le 20 avril 1792.
Devenue Société populaire, cette organisation radicalisa encore davantage le climat politique à Arras, surtout après l’entrée en guerre de la France et l’exécution de Louis XVI. Les noms de rues furent modifiés pour refléter cette nouvelle ère : la Grand’Place fut rebaptisée « place de la Fédération » tandis que la place des Héros devint la « place de la Liberté ». Un tribunal révolutionnaire fut créé à Arras, transformant la ville en l’un des foyers de la Terreur. Joseph Lebon, député jacobin, y renforça l’application des lois révolutionnaires jusqu’à sa destitution le 9 juillet 1794.
Quelques jours avant l’arrestation de Robespierre à Paris, le tribunal révolutionnaire fut supprimé à Arras. Lebon fut jugé et exécuté à Amiens le 16 octobre 1795, marquant la fin de cette sombre période.
Les morts sous la Révolution Française à Arras
La guillotine à Cambrai et à Arras fut l’un des symboles tragiques de la Terreur. Durant cette période, Joseph Lebon renforça l’usage de cet instrument de mort, conduisant 159 Arrageois à l’échafaud. La ville comptait alors sept prisons, qui détenaient plus de 1300 prisonniers, dont l’ancien maire Dubois de Fosseux en juin 1794. La politique radicale de Robespierre trouva en Lebon, mais aussi en Augustin Robespierre (le frère cadet) et Daillet, des relais dévoués. Cependant, la chute de Robespierre et de ses partisans marqua un tournant, mettant fin à l’un des chapitres les plus sombres de l’histoire révolutionnaire à Arras.
X.D.